Et si le fonds en euros était amené à disparaître ?
L’histoire nous apprend que rien n’est figé et que les changements peuvent surprendre. Qui aurait imaginé en 2018 une Coupe du Monde sans l’Italie et une élimination si rapide de l’Allemagne de l’Espagne ou du Brésil ?
En assurance–vie il pourrait bien en aller de la même façon … malgré des évolutions régulières du produit, on dirait qu’une devise s’est toujours imposée, « L’assurance vie c’est un placement pour lequel celui qui gagne à la fin c’est le fonds en euros».
Prenons donc un peu de recul et intéressons nous aux origines …
La forme la plus proche du produit actuel nous vient d’Italie avec Lorenzo Tonti, mathématicien et inventeur de la tontine en 1652. En France, la naissance officielle de l’assurance vie date du début du 19éme siècle, avec une autorisation officielle par le Conseil d’Etat en 1818. Dès lors la progression fut rapide, portée par les sociétés d’assurances et les mutuelles. Longtemps uniquement investis en fonds en euros, l’assurance vie « mono-support » s’est donc diversifiée avec l’introduction des UC (Unités de Compte) en 1969. (Nous fêterons donc le cinquantenaire des « UC » en 2019).
La popularité de ce produit d’assurance – clairement utilisé comme un véhicule d’épargne – avec plus de 50 millions de contrats et 1.700 milliards d’encours, vient sans doute de ses avantages fiscaux majeurs en matière de transmission et de revenus mais aussi de son fameux fonds en euros. Celui-ci, garanti en capital et doté d’un cliquet annuel, a longtemps servi un rendement honorable et comblé l’aspiration à la sécurité des Français.
Cependant depuis le début les années 2000 et la baisse des taux d’intérêts, le support est devenu moins attractif, comme illustré ci-dessous.
Rendement moyen des fonds en euros net de frais (brut et net d’inflation) comparé aux obligations d’Etat @Lidix 2019 – Sources : Banque de France, FFA, ACPR, Insee |
Si pour les marchés actions l’on dit souvent que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel, du côté des obligations, les taux nominaux ont montré qu’ils pouvaient descendre en dessous de zéro (au Japon, et plus récemment en Allemagne, Suisse, y compris sur des maturités longues). Cette situation pose des problèmes sérieux de rentabilité pour les clients.
Les assureurs tiraillés entre solvabilité et rentabilité
Dans un premier temps, pour contrebalancer la baisse des rendements, les assureurs ont conçu des fonds en euro « dynamiques », dotés d’une plus grande diversification et qui permettaient d’afficher des résultats meilleurs – en contrepartie d’une garantie moindre. Si commercialement le succès a été au rendez-vous, il ne changeait rien aux problèmes de rentabilité des assureurs. Ces derniers se sont trouvés confrontés à la pression renforcée de Solvabilité 2, norme prudentielle européenne destinée à renforcer les fonds propres des assureurs et faisant suite à la crise des « subprimes ». De fait, la délivrance d’une garantie quotidienne du capital présente un coût élevé, ce qui n’est pas en revanche le cas des Unités de Compte (UC), dont le client assume 100% des gains … et des pertes.
Ainsi les politiques commerciales se sont-elles infléchies : pour les primes importantes, l’accès aux fonds euros « dynamiques » et puis même au simple fonds en euros, a été subordonné à un pourcentage minimum de versement en unité de compte (jusqu’à 50% sur certains produits).
Ainsi deux objectifs sont poursuivis : éviter la dilution de rendement pour les clients existants et économiser sur les fonds propres.
De plus, les « règles du jeu » ont changé en 2017 (mais rien à voir avec l’arbitrage video du foot) : la garantie du capital sur les sommes versées en fonds euros est passée de « nette » à « brute de frais de gestion ». En clair, c’est l’anticipation qu’il n’est plus exclu que les rendements nets de frais passent en négatif…
En fait les fonds en euros posent autant de problèmes aux Assureurs qu’à l’Etat, qui souhaiteraient voir les flux d’épargne s’orienter plutôt vers les unités de compte ou les fonds eurocroissance. (Dans le respect des besoins de l’épargnant bien sûr et conformément aux directives sur la distribution).
L’Etat tiraillé entre financement de l’économie et sécurité des épargnants
De son côté l’Etat s’est continuellement attaché à une orientation de l’épargne vers le financement de l’économie tout en préservant performance et sécurité des épargnants. Ce fléchage devient évidemment d’autant plus délicat à mettre en œuvre que les taux baissent et que les encours de l’assurance vie grossissent au point d’en faire un paquebot…
En 2005, l’amendement Fourgous a instauré la possibilité de transformer un contrat monosupport en multisupport tout en conservant l’antériorité fiscale du contrat, sous réserve de placer 20% minimum en Unités de Compte. De fait en 2017, les UC représentent 20% du stock de l’encours global français.
En 2006, le premier signe de création d’un nouveau type de fonds garantis par l’assureur est apparu avec la création des tout premiers contrats « euro-diversifiés » assortis de fonds « eurocroissance ». Ce produit peu suivi dans sa version initiale, a été relancé en 2014, et annoncé par les pouvoirs publics comme la troisième voie en assurance vie, entre les fonds en euros et les unités de compte. Censé résoudre l’équation performance-sécurité, grâce à une garantie en capital acquise au bout de 8 ans minimum, l’eurocroissance a encore connu un succès mitigé comme souligné dans la présentation de la loi Pacte .
« 2,3 milliards d’euros, c’est l’encours du fonds Eurocroissance sur un encours total d’assurance vie de 1 700 milliards d’euros dont plus de 1 400 milliards en fonds euros. » Tout est dit.
En 2018, la Loi Pacte est donc revenue à la charge sur le sujet et annonce une modernisation du fonds Eurocroissance pour le relancer sérieusement et offrir une alternative sécurisée aux unités de compte.
« Le produit Eurocroissance sera simplifié et rendu plus lisible par l’affichage d’un rendement unifié pour tous les épargnants. Il pourra être bonifié par des engagements d’investissement plus longs. La garantie du capital à l’échéance du contrat sera maintenue. »
Ainsi, le nouveau fonds Eurocroissance semble taillé pour que l’épargne continue d’être pilotée par les assureurs :
- Délivrance d’une garantie formelle à échéance par souscripteur
- Cohérence du support avec la préparation à la retraite grâce à une diminution progressive du risque à l’approche de la date de garantie
- Cantonnement légal des actifs pour sécuriser au maximum les clients (comme au Luxembourg)
- Transparence :
- Comptabilisation en valeur de marché (à l’actif)
- Part de diversification (au passif) « témoin » de la proportion dédiée à la dynamisation des performances.
- Loi Pacte :
- affichage d’un rendement unifié annuel pour tous les clients (sans effet cliquet)
La Fédération Française de l’Assurance a communiqué les performances moyennes en 2017 des différentes catégories de supports (avant prélèvements sociaux) et les niveaux sont assez cohérents avec les risques associés :
- 1,8 % pour fonds en euros
- 3,4 % eurocroissance
- 5 % UC .
Il est difficile de faire des pronostics à ce stade car les éléments concrets de la mise en oeuvre de la réforme ne sont pas encore connus.
Cependant, la corrélation entre la hausse des marchés et le pourcentage d’UC n’explique peut-être qu’en partie cette évolution. L’autre variable pourrait bien être la « passion » pour le fonds euro, quand on sait que l’accès aux nouveaux versements a été conditionné … à la souscription d’un quota d’UC.
Ainsi, comme Piquillo dans la Perichole, l’épargnant est « jaloux » de son fonds euros et « récalcitrant » au risque …
Les ambitions du gouvernement sont encore assez modestes : un objectif de 20 Mds d’euros en 2 ans, représente à peine plus d’1% du stock des encours …
Pour l’instant les UC ont pris l’avantage : en 2017 le pourcentage des versements a bondi à 27% (contre 20% l’année précédente) et la tendance se confirme en 2018. Mais sur les stocks existant, le fonds euros reste très majoritaire à 80 % et n’est donc pas prêt d’être mis « au cachot » …
Reste à espérer que le conseil financier suivra car la diversification en UC nécessite un suivi et des outils indispensables pour accompagner les clients tout au long de la vie du contrat. Ce type d’outils est désormais accessible grâce au développement des fintech et insurtech, permettant de mieux piloter l’épargne à grande échelle.
La coopération est en route, tant mieux et pourvu qu’elle avance bien, avant que les marchés ne se retournent …
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